Il faut que j’en parle. Il faut que je le dise. Pas
vraiment pour témoigner. Pas vraiment non plus pour servir d’exemple. Mais il
faut que je le dise, pour moi, pour LUI, pour nous. Parce que c’est sans doute
la pire expérience médicale que j’aie eu à vivre ces quatre dernières années. La
plus humiliante aussi et paradoxalement, à terme la meilleure des décisions que
j’ai prise.
Je vais essayer de faire court mais tout cela se passe
sur environ deux ans. On est au printemps 2012. Il remarche, re-prononce
quelques mots, stimulé en permanence il arrive même à manger presque seul, il
est continent. Problème : il a des crises d’agitation que je qualifierai
de modérée. Par moments, il se lève et déambule dans la maison. Comme il
résiste mal à la frustration, il pique des colères, crie, se jette sur le lit
et lance ce qui lui tombe sous la main, puis se calme. En consultation dans le
service infectiologie, j’en parle aux médecins. Tous sont d’accord sur les
progrès indéniables, et nous conseillent de rencontrer le médecin psychiatre du
service. Cela faisait 6 mois que je demandais à voir un neurologue. Après tout,
c’est le cerveau qui était touché. Certes la cause d’origine était infectieuse,
mais tout de même, il me semblait qu’un neurologue aurait été tout indiqué. On me
présente ce médecin comme « un spécialiste des complications neurologiques
du vih » Je suis profane, j’entends neurologue. Ma belle-sœur, présente ce
jour-là entend la même chose. Sur la feuille de rendez-vous de l’hôpital je lis
« consultation psychiatrique ». Nous le rencontrons. Il est affable,
à l’écoute. Il prescrit un anxiolytique léger. Le traitement fonctionne une
dizaine de jours. Puis l’agitation reprend de plus belle. Un mois plus tard
nous revoyons le médecin. Je lui fais part des résultats constatés. Il m’explique
que la lésion frontale est la cause de cette agitation, et de cette moindre
résistance à la frustration. Il met en place un traitement par neuroleptique
atypique, et me demande de l’appeler dans une semaine pour faire le point sur
les premiers effets. Je l’appelle au septième jour, en lui
faisant part des observations du kiné. Il marche moins bien, le buste penché, soit en avant, soit sur le côté. Il lève
moins bien les pieds aussi. La réponse est dans appel « ça n’est pas le
traitement, c’est la maladie qui progresse » Je suis sceptique aussi sur l’efficacité.
Les crises sont les mêmes, sauf que comme il marche de moins en moins bien, il
trépigne sur place. Je fais même une vidéo, pour montrer à quel point ses jambes sont sans repos, même assis. En vrai je n’ai pas attendu la consultation suivante
pour lui arrêter le neuroleptique. Au bout de 20 jours, il
ne marchait plus, ne parlait plus, seuls des sons inarticulés sortaient, et
surtout un tremblement était apparu. Le jour de la visite, le médecin « tique »
sur ce tremblement. « les noyaux gris centraux sont atteints ». Je
comprends que ce n’est pas bon signe mais il ne m’en dit pas plus. En revanche,
ce que je comprends bien c’est qu’il faut absolument faire cesser cette
agitation. Instauration d’un autre traitement neuroleptique. A petites doses. Le
traitement fonctionne assez bien mais… les difficultés à la marche reprennent, il
mange moins bien, ne progresse plus en langage, et surtout redevient
incontinent. Et comme il s’en rend compte, s’attriste. Nous passons l’été à
sortir, nager, marcher. J’essaye de le fatiguer. Ça marche assez bien. Mais il
reste un fond intolérant. A l’automne, comme nous sortons moins, l’agitation
reprend un peu. Les troubles du comportement réapparaissent. Lors de la consultation
de septembre, le médecin se moque de la prise de poids excessive. C'est de ma faute, je lui donne
trop à manger et comme il est frontal, il se gave sans limite. Cet excès
de poids est la cause des troubles de la marche.
La consultation
de décembre se passe encore plus mal. Il fait des grimaces au médecin, des gestes obscènes,
râle, lui dit des gros mots. On évoque une entrée en institution. Re-insultes. Le
médecin triple la posologie de neuroleptiques, assorti d’anxiolytique. Le tout sur
un fond de violences qui ne me plait pas. Violence des mots « placement en
ehpad » « danger » « tutelle », violence des gestes
aussi, de l’attitude de ce médecin qui n’a pas eu un regard pour le malade en
face de lui, qui n’a parlé qu’à moi, qui n’a pas écouté mes réticences. Mais qui
m’engueule parce qu’il n’a pas perdu un gramme. Et que le bilan des graisses
révèle une hypercholestérolémie et des triglycérides en excès. Le psychiatre me
culpabilise, je ne fais pas ce qu’il faut, il faut que je passe la main à des
pros qui feront mieux que moi.
6 mois se passent. Ponctués de crises, de cris, je suis fatiguée
mais toujours pas résolue à le faire entrer en institution. Il hurle, se
déshabille, arrache tout, il est de plus en plus difficile. Ne supporte plus
rien. Ni attente, ni inconfort. Sortir lui est de plus en plus pénible, les
bruits de la rue, les klaxons, les cris d’enfants le font sur-réagir. Le généraliste
ne me laisse pas d’autre alternative que de revoir le psychiatre. La consultation
est un des pires moments de mon existence. Mon compagnon n’a eu de cesse d’essayer
de lui jeter à la figure tout ce qui lui tombait sous la main. Il a dévasté le
bureau, déchiré le papier de protection de la table d’examen derrière lui,
arraché son tee-shirt, hurlé, crié, tempêté. Le médecin en face éructait, rouge,
en faisant des grands moulinets avec les bras. IL ME HURLAIT DESSUS. M’a dit
que j’étais dangereuse d’exposer le personnel des soins à domicile au risque
potentiel que représentait mon compagnon. Et toujours pas un mot ni un regard
pour son patient. Rien. Cet homme en face de lui représente certes un danger, mais
n’est pas digne de recevoir la moindre explication de son médecin. Ni bien
entendu aucune parole apaisante. Il m’a laissé me débrouiller seule avec ma
tempête, rien que pour me démontrer que je n’y arrivais plus. Au moment de
rédiger l’ordonnance, il a un problème avec le traitement anti-rétroviral. Il appelle
un collègue infectiologue, qui décide dans la foulée de changer la
tri-thérapie, mentionnant que ce nouveau traitement protégerait moins le
cerveau « oui mais ça on s’en fout » réplique le psychiatre. « bah
non, on ne s’en fout pas, c’est quand même important que le cerveau soit
protégé du virus, non ? » « VOUS CROYEZ QUE C’EST MA PRIORITÉ,
LA ? » Je crois que j’ai sursauté par la violence du propos. Le compte
rendu de consultation est un must du genre, avec les mentions « pas d’autre
solution que de sédater le patient » et « j’informe Madame des effets
indésirables type Parkinson du nouveau traitement » (Madame, pas Monsieur…)
ainsi que « prévoir dérogation d’âge pour admission en long séjour ou
ehpad ». Il a rageusement rédigé le bon de transport pour l’ambulance, non
sans avoir omis d’écrire « démence sévère+++ » dans les observations
cliniques. Nous sommes ressortis de cette consultation traumatisés. Moi j’étais
en état de choc. Le soir même je lui fais commencer le nouveau traitement. Encore
un neuroleptique. Plus d’anxiolytique, ni de comprimé pour dormir. Mais il n’a
pas arrêté l’antidépresseur « il va pleurer, ça ne va pas vous plaire »(???) Prévisiblement, la nuit se passe mal, il ne dort pas, s’agite encore plus, crie,
devient violent. Le lendemain matin, je persiste et respecte la posologie. Il ne
se calme pas. Comme j’ai une marge de +/- 10 gouttes, j’augmente la dose pour
midi. La maison est sens dessus dessous. Il a ravagé les placards, en a jeté le
contenu par terre, saccagé le lit et le canapé. J’évite de trop me montrer, je ne
reste pas dans la même pièce que lui. En fin d’après-midi, je ne l’entends plus,
il ne s’agite plus. MAIS… il a les yeux « bloqués » à droite et semble
sans réaction. Il ne tourne plus la tête si je frappe à la porte, son bras
droit est spastique. J’ai fait le 15, les urgences. Examen neuro, scanner, perfusion de Valium. Le
médecin réanimateur m’explique l’état de grand mal des neuroleptiques, le
cerveau qui convulse, et rédige un compte rendu en ce sens, l’origine
iatrogénique de cette crise. Il reste à l’hôpital en observation pour la nuit,
attaché au lit. Je suis rentrée dormir, première nuit complète depuis longtemps. Il
est rentré le lendemain en fin d’après-midi, calme, souriant et détendu. Une bonne
douche, un bon repas, une bonne nuit. C’est le lendemain que ça c’est gâté. Quand
je lui ai redonné le neuroleptique prescrit par le psychiatre des urgences. C’était
celui qu’il prenait avant, celui qui ne faisait plus effet. Les crises ont
recommencé, les cris, l’agitation. Et là j’ai compris. J’ai compris que c’était
ce médicament qui le rendait violent. S’ensuivent plusieurs semaines d’allers et
retours à l’hôpital, d’entrées en urgence et de sorties sans prise en charge. Les
médecins qui s’obstinaient à lui redonner des neuroleptiques, moi qui leur
disais que non, ça n’était pas la bonne stratégie, que ce sont ces
neuroleptiques qui le rendaient violent, que les anxiolytiques en l’abrutissant
coupaient toute forme de communication, qu’on n’avançait pas et qu’il régressait.
Mais qui suis-je, moi, pour qu’on m’entende ? Je n’ai que mon expérience à
mettre en avant, face à un corps médical sûr de ses connaissances.
Un jour j’ai dit NON. On arrête tout. Plus de
psychotropes. « C’est à vos risques et périls » m’ont-ils répondu. J’ai
pris le risque. Et je nous ai donné du temps. Le temps de s’adapter, de s’habituer
à cette nouvelle configuration, le temps de réapprendre à communiquer
autrement. Le temps pour lui d’oublier certains comportements, le temps pour
moi d’en accepter d’autres. Je me suis documentée, j’ai fait des recherches, j’ai
essayé d’apporter des réponses acceptables. Je lui ai parlé, beaucoup. J’ai
négocié, encore plus. J’ai fait des erreurs, j’ai corrigé. Mais je n’ai jamais
regretté cette décision. Il ne supporte plus les soignants ? On allège le
programme. Il fait la gueule au kiné ? On supprime des séances. Seul le généraliste assure le suivi vih. Lui a constaté l'évolution, les hauts, les bas, les remontées et les descentes.
Aujourd’hui il est plus calme. Toujours intolérant à la
frustration, il a un sas de décompression, le lit, les oreillers qu’il lance et
c’est tout. Il se déplace seul, remange seul avec les doigts, a un vocabulaire
restreint mais exprime ses besoins de base, il reste habillé et gérable au
quotidien. Il ne sort plus parce que la rue l’agresse, les autres l’agressent. Mais
il se sent bien dans son cocon. Et c’est à moi de construire autour.
Dure de dire non, une décision qui est toujours longue à prendre, mais si on ne la prend pas se n'est pas ses donneurs de médicaments qui le feront. Ceux qui n'écoute pas nos proches et qui nous écoute pas non plus, car leur priorité est de remplir leur ordonnance en ce disant j'ai fais mon travail et au revoir. Désolée je vais parlé de moi, j'ai eut le droit à vous faite comme vous voulez mais je vous préviens je n'ai rien d'autre à vous donner en remplacement. Ce n'est pas ce que je demandais, je demandais juste d'arrêter ce médicament qui pour moi ne servait plus à rien. J'ai dis stop et j'en ai le résultat comme quoi il ne servait plus à rien. Sache décision Kat, c'est sur avec beaucoup d'agitation,de travail de votre part, de patience, de compréhension et d'amour, mais comme quoi nous savons trouvé, apporté, pour que nos proches se sente mieux, que nous arrivons aussi à des résultats sans ses petits bonbons. Vous êtes une femme très courageuse avec un grand coeur, remplit d'amour, je vous respecte pour la femme que vous êtes, pour ce que vous faite pour votre mari, pour la patience que vous avez et pour pleins d'autres choses. je vous embrasse très fort
RépondreSupprimerbeaucoup de médecins (mais pas tous heureusement) ne savent pas faire autrement. la seule réponse thérapeutique aux crises d'agitation sont les médicaments. c'est la prise en charge hospitalière qui veut ça, parce que l’hôpital se doit d'assurer la sécurité de son personnel et des autres patients. ils ne suivent pas leurs patients au quotidien, à la maison et ne cherchent pas à comprendre l'origine de ces crises. si on en supprime la cause, on supprime les crises. à la maison c'est relativement facile, en établissement c'est impossible.
SupprimerCourage Doune. encore une fois, l'amour et le cœur feront leurs preuves.
Et bien voilà ! : le fameux "master d'aidant" ça vaut certains diplômes hein ?
RépondreSupprimerQuel courage !
Never underestimate the power of love :-)
SupprimerSe battre, toujours se battre. Contre l'ignorance, le scepticisme, l'indifférence, parfois même le mépris... sans jamais reconnaître leur impuissance, voire même leur incompétence.
RépondreSupprimerPourquoi se targuer d'avoir sauvé des vies, pour ensuite laisser les gens se débrouiller seuls (et je suis polie)...
Pffff.... parfois, je baisse les bras. Et même, je voudrais fuir...
Bravo pour ta ténacité et tout cet amour dont tu fais preuve Kat. Bravo, vraiment ! Anne B.
Quand tu vois l'état de délabrement des services de longs séjour chez nous, je me voyais mal l'y laisser. c'était il y a longtemps. Il est à peu près stable maintenant, des orages d'été aux tempêtes hivernales... mais me reste ce goût amer de la maltraitance de ce psychiatre.
SupprimerJe rejoins les commentaire Kat, une dose d’abnégation est indispensable pour ce parcours chaotique mais tellement rempli d'amour. Où trouver ces doses là, en institution??? Que nenni.
RépondreSupprimerSi tu permets je souhaite soulever un aspect particulier: handicap invisible.
Mon frère devait rejoindre les rangs HP suite à son accident, j'ai refusé, je tente de l'aider au mieux.
Paradoxe : suis parfois remise en cause par des pros et des voisins qui ne savent pas de quoi est fait le quotidien d'un trauma. En "liberté" il évolue"!
Continue à nous éclairer par tes écrits Kat. MERCI d'être là comme tu l'es!
Merci Marina! ensemble, nous sommes plus forts. pour nous réconforter dans les mauvais moments et fêter les bons! Et tu as raison, il va falloir s'interroger et interpeller sur l'importance de la prise en charge familiale des handicaps invisibles, mieux communiquer, mieux informer. Continuons ensemble, nous nous renforçons mutuellement!!!
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