24 septembre 2014

Les orages d'été





         Dimanche matin, 6h il est réveillé, week-end  ou pas, c’est la vessie qui commande. Bon, ben y’a plus qu’à… Les chats campent déjà devant la cuisine. Eux non plus ne connaissent pas de fin de semaine… Mettre l’eau à chauffer pour le café, nourrir les fauves, tous ces petits gestes matinaux qui rassurent... Pffff hier à la télé ils avaient dit qu’on pouvait dormir une heure de plus ouais ben… les chats, mon bonhomme et sa vessie,  ils devaient pas être au courant.

        On sirote notre café au lit, en silence. Enfin JE sirote parce que loulou, lui, il boit ça comme une purge, d’un trait. La modération, connait pas. Et il me tend sa tasse vide d’un air satisfait. Il a encore une goutte de café au lait qui lui coule du menton. Va pas me tacher les draps propres, je l’essuie avec mon doigt. 

     6h15 cafés bus, on fait quoi maintenant ? Allez mon loulou on va essayer de se rendormir un peu, hein… lumière éteinte, couette remontée jusqu’aux oreilles, je ferme les yeux. Et là ça commence. La jambe droite qui s’agite, le genou qui me remonte dans le dos. Je pose ma main sur sa cuisse, contrôle mon gars, contrôle. Je perçois un début d’agacement dans son soupir. Oh discret au début, un soupçon. Il se tourne sur le dos et m’embarque la couette au passage. Je m’accroche bien un peu, pour la forme mais je sais que c’est foutu. Il ne se rendormira pas et moi non plus. 


22 septembre 2014

Lettre à Hortense

        Depuis un moment, j'entretiens une conversation avec Hortense la colocataire de mon Loulou, celle qui loge dans sa  tête. Tout le monde aura reconnu sa démence mais moi j'ai préféré lui donner un nom, pour me la rendre plus familière.



                                           Chère Hortense ;



             Depuis que tu as  établi tes quartiers dans la tête de mon bonhomme, on peut dire que ma vie a singulièrement changée. Elle n’était pas si extraordinaire que ça ma vie d’avant  mais étrangement, c’est son apparente banalité qui en faisait tout le charme. Pourtant, on ne t’a pas vue arriver. Tu t’es faite discrète au début. Farceuse, tu lui volais son chemin pour qu’il se perde, puis tu cachais ses affaires pour qu’il les cherche sans les voir, puis petit à petit tu lui as volé ses mots, son rire. C’est là que je me suis rendu compte de ta présence. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’une IRM te débusque et que l’on se rende compte que tu t’étais déjà installée partout. Et puis rapidement tu as pris tes aises et tu as  montré ton vrai visage. Tu l’as privé de ses mains, de sa voix. Tu l’as fait marcher jour et nuit, se perdre aux quatre coins de l’appartement. Mais lui prendre tout ça ne t’a pas suffi, tu es une colocataire exigeante, Hortense.  Il te le faut tout entier, et pour toi seule.


21 septembre 2014

Notre histoire: en guise de préambule



              C’est l’histoire d’un homme et de son virus, de leur rencontre il y a un peu plus de 20 ans à l’époque où dans ses veines couraient 1000 chevaux blancs. C’est l’histoire d’un homme libre qui a refusé les étiquettes. De séropositif il n’a retenu que le positif, de mort vivant il n’a retenu que le vivant. Un suivi épisodique, pas de traitement, prendre des médicaments pour éviter d’être malade lui semblait relever de l’ordre du pléonasme. Non, lui, il voulait continuer à rire, chanter, danser dans le soleil et aimer. Surtout aimer. Aimer la vie, même avec son hôte indésirable. Un passager clandestin discret au début,  presque absent. Mais le pathogène est un malin. Le diabolique a fini par prendre la tour de contrôle en otage, considérant le corps comme un véhicule subalterne tout juste apte à lui fournir de quoi survivre.

                Eté 2011, les premières manifestations apparaissent. Trop tard le mal est déjà fait. Une IRM ne fait que confirmer les lésions. La ponction lombaire ne révèle aucun autre agent pathogène, c’est bien le VIH l’unique responsable. Nos contacts avec les médecins sont (déjà) difficiles, teintés d’incompréhensions mutuelles. Pour les blouses blanches, il était l’inconscient qui n’a eu que ce que sa négligence méritait et moi, sa complice consentante, je devais me contenter d’avoir encore des yeux pour pleurer à défaut de n’avoir su les ouvrir à temps. Durant  une brève hospitalisation au cours de laquelle le seul soin qu’il reçoit quotidiennement est la sacro-sainte trithérapie, ce miracle chimique sensé mettre le virus en mode « ta gueule », je fais le siège du bureau de l’interne qui me regarde de haut, me tient dans l’ignorance dédaignant mes questions. Le savoir est sa richesse, il n’entend pas la partager. C’est mon zouave lui-même, qui un dimanche midi, dans un réflexe de survie, leur a signifié de façon péremptoire « je veux rentrer chez moi » après avoir méthodiquement saccagé le bureau des infirmières, balancé son plateau repas à la tête de l’aide-soignante qui le nourrissait, oui nourrissait parce qu’il n’y a pas d’autre terme à l’indigne façon de faire avaler à toute vitesse cette bouffe infâme, cette bouillie prémâchée, prédigérée, en lui intimant l’ordre de se dépêcher… après ce coup de semonce affolement du corps médical, course effrénée dans les couloirs, là ils ont su m’appeler, là je redevenais quelqu’un alors que depuis 10 jours on me faisait bien sentir que je n’étais personne.