Selon sa racine latine, "aider c’est apporter de
la joie" nous explique le linguiste Alain Rey. Oui, nous, aidants,
apportons de la joie à nos proches. La joie qu’ils ont de ne pas finir leurs
jours dans la solitude, de ne pas se sentir abandonnés, la joie de leur main
dans la nôtre, la joie d’exister encore dans nos regards, d’être considérés, de
ne pas perdre l’estime d’eux-mêmes dans ce don de soi à l’autre.
Ça fait image d’Epinal ce que je vous raconte là ?
Oui, un peu. Parce qu’au risque de me répéter, être aidant c’est certes
apporter de la joie mais à quel prix ? Au prix de notre santé, de notre
équilibre psychique, de nos carrières, de nos finances et de nos vies de
famille. Alors oui dans l’absolu, apporter de la joie à un proche âgé ou dont l’autonomie
décline, lui rendre visite ou rester à ses côtés malgré la maladie, qu’on passe
pour lui à la pharmacie ou qu’on le veille nuit et jour, toutes ces petites
choses, ces menus services que l’on rend à son prochain, cette fidélité sans
faille que tout le monde nous envie, dans l’absolu c’est beau. Seulement voilà…
on ne peut pas dire que la société nous apporte de la joie, à NOUS !!!
Une loi fondamentale vient d’être votée, après moult
rebondissements, reports, débats, navettes (à tel point qu’il a fallu l’intervention
d’une commission paritaire mixte pour mettre tout le monde d’accord) enfin, le
28 décembre 2015 a été promulguée la tant attendue Loi sur l’Adaptation de la
Société au Vieillissement, dite loi ASV. Il faut vous y faire les amis, après-guerre,
nos arrière-grands-parents emportés par une vague d’optimisme et dans un élan
de joie indicible (et aussi un peu pour remplacer les hommes morts au combat) ont
fait des bébés. Beaucoup de bébés. Ces bébés ont grandi, ont travaillé, ont
pris leur retraite et maintenant ils vieillissent. Et il faut que la société d’aujourd’hui
se prépare à prendre soin de ceux qui, après avoir fait partie de la génération
du baby-boom, sont aujourd’hui des papy boomers. Ils sont encore frais et verts
nos papy boomers. Ils participent à la silver économie, cette économie qui vise
leurs cheveux blancs (oups argentés) comme potentielle source de profits. Ils
rendent service en s’occupant de leurs petits-enfants, ou de leurs parents (en
leur apportant de la joie), en consommant les produits culturels ou de service
que notre société met à leur portée, mais dans quelques années ? C’est à ce fait incontournable que la société
doit se préparer. A inclure ces personnes en grand âge (et ceux qui s’en
occupent, les aident, leur apportent de la joie) dans notre société. Et à en
supporter le coût. Parce que pour le moment, cette génération rapporte de l’argent,
la silver économie est rentable sinon elle n’existerait pas, mais viendra un
jour où les papy boomers coûteront plus d’argent qu’ils n’en rapportent. C’est
un fait là aussi incontournable. Et qui sera encore là, à leurs côtés, pour
leur rendre service ou les veiller nuit et jour ? Pour remplir les dossiers de demandes d’aides,
pour s’assurer du bon suivi médico-social de ces papy-boomers vieillissants, ou
pour juste leur tenir la main ? Les aidants. Oui encore eux. Les aidants d’hier,
qui seront les proches aidés de demain, aidés par des aidants qui à leur tour,
un jour…
Et si on veut à notre tour être aidés un jour, qu’on
nous apporte cette joie de la présence d’un proche, on a tout intérêt à prendre
soin des aidants d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs un des volets de cette loi ASV :
reconnaître que les aidants jouent un rôle incontournable dans la prise en
charge globale des personnes âgées en perte d’autonomie. ET LES Y INSCRIRE. On reconnait
que les aidants, par leur présence, permettent à la société de faire des
économies substantielles (je ne vais pas vous réécrire le chiffre de 164
milliards d’€ de la contribution informelle, non ? ah bah si en fait) de
ce fait on reconnait qu’ils peuvent s’épuiser à cette tâche et donc la loi leur
permet de prendre un répit, un repos, de faire une trêve, de se ressourcer
temporairement. Oh très temporairement à vrai dire, parce que 500€ c’est peu et
que les conditions d’accès vont être drastiques, mais au-delà de la somme, c’est la
reconnaissance qui est en jeu. Reconnaissance de l’existence incontournable des
aidants, de leur fatigue, de leurs propres maladies aussi, puisque
conjointement, la loi permet d’aider à financer la prise en charge du proche en
cas d’hospitalisation de son aidant. Et au-delà de la reconnaissance de l’existence
même des aidants, c’est leur inclusion dans le monde du travail qui va se
jouer. Qui sait qu’aujourd’hui, en entreprise, se prennent plus de congés pour
un parent âgé que pour un enfant malade ? Et pourtant la loi sur les dons
de RTT ne concerne aujourd’hui que les parents d’enfants malades et non tous
les salariés aidants. La nouvelle loi ASV a porté modification du code du
travail en assouplissant l’accès au congé de solidarité familiale, désormais
nommé « congé proche aidant ». Qui le sait ? Qui en parle ?
Les ressources humaines ont elles eu
vent de ce changement récent ? Les syndicats communiquent-ils sur cette
avancée ? Qui va informer les aidants qu’ils peuvent suspendre
temporairement leur activité salariée, ou réduire leur temps de travail pour se
libérer du temps pour un proche âgé ? Et pour les aidants salariés par
leurs parents, ont-ils accès à la médecine du travail ? Pourtant le suivi médical
des aidants, c’est un fait reconnu, n’est jamais autant assuré que celui des
non-aidants du même âge. Pourtant, un aidant sur trois meurt avant son proche
aidé. Mais qui les informe de leurs droits? Des risques? Trop souvent, les
aidants minimisent leur fatigue ou leurs douleurs pour ne pas culpabiliser leur
proche. C’est louable, ça part d’une bonne intention, mais c’est dangereux. Quand
allons-nous avoir une communication claire vis-à-vis des aidants ? Responsabiliser sans infantiliser ? Prévenir
sans menacer ?
Clairement, l’Etat, la société ont leur rôle à jouer
mais pas seulement. Ce sont tous les acteurs du monde médico-social qui ont, à
leur niveau, une responsabilité. Depuis l’aide à domicile au politique, en
passant par les soignants, les assistants sociaux, les drh … Tous. Au même
titre que cette société se veut collectivement responsable de la prise en
charge de nos aînés, elle se doit de reconnaître, inclure, soutenir et surtout
informer ses aidants. Ce qui ne dispense pas les aidants eux-mêmes de s’informer de leur côté de leurs droits et devoirs et de les faire observer et respecter.
Si l’on veut que cette joie, celle apportée comme celle
que l’on reçoit, reste une source inépuisable, ne la laissons pas s’épuiser ni
se tarir par manque d’attentions. Communiquez, informez, formez, affichez mais n’oubliez
jamais : les aidants d’aujourd’hui sont les aidés de demain qui auront à
leur tour besoin d’aidants.
A bon entendeur…
L'aidant dans toute sa splendeur. Toujours aussi juste a chere. A afficher en grand
RépondreSupprimerIl est essentiel ce texte. Merci <3
RépondreSupprimerPorteuse de joie que je suis, ayant perdu le Nord de la loi ASV, à vrai dire je ne l'ai jamais bien trouvé, je trouve ce texte très juste dans toutes ses descriptions de ce que les aidants font sans avoir encore toute la reconnaissance qu'ils méritent par cette société. Bravo Kat
RépondreSupprimerBravo. Et merci. Encore, toujours ! Je vais relire mieux, m'imprégner davantage de tes mots pour les entendre vraiment...ils sont essentiels.
RépondreSupprimermerci à vous quatre pour votre fidélité!
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