C’est l’histoire d’un homme et de son virus, de leur
rencontre il y a un peu plus de 20 ans à l’époque où dans ses veines couraient
1000 chevaux blancs. C’est l’histoire d’un homme libre qui a refusé les
étiquettes. De séropositif il n’a retenu que le positif, de mort vivant il n’a
retenu que le vivant. Un suivi épisodique, pas de traitement, prendre des
médicaments pour éviter d’être malade lui semblait relever de l’ordre du
pléonasme. Non, lui, il voulait continuer à rire, chanter, danser dans le
soleil et aimer. Surtout aimer. Aimer la vie, même avec son hôte indésirable.
Un passager clandestin discret au début,
presque absent. Mais le pathogène est un malin. Le diabolique a fini par
prendre la tour de contrôle en otage, considérant le corps comme un véhicule
subalterne tout juste apte à lui fournir de quoi survivre.
Eté 2011, les premières manifestations apparaissent.
Trop tard le mal est déjà fait. Une IRM ne fait que confirmer les lésions. La
ponction lombaire ne révèle aucun autre agent pathogène, c’est bien le VIH
l’unique responsable. Nos contacts avec les médecins sont (déjà) difficiles,
teintés d’incompréhensions mutuelles. Pour les blouses blanches, il était
l’inconscient qui n’a eu que ce que sa négligence méritait et moi, sa complice
consentante, je devais me contenter d’avoir encore des yeux pour pleurer à
défaut de n’avoir su les ouvrir à temps. Durant
une brève hospitalisation au cours de laquelle le seul soin qu’il reçoit
quotidiennement est la sacro-sainte trithérapie, ce miracle chimique sensé
mettre le virus en mode « ta gueule », je fais le siège du bureau de
l’interne qui me regarde de haut, me tient dans l’ignorance dédaignant mes
questions. Le savoir est sa richesse, il n’entend pas la partager. C’est mon
zouave lui-même, qui un dimanche midi, dans un réflexe de survie, leur a
signifié de façon péremptoire « je veux rentrer chez moi » après
avoir méthodiquement saccagé le bureau des infirmières, balancé son plateau
repas à la tête de l’aide-soignante qui le nourrissait, oui nourrissait parce
qu’il n’y a pas d’autre terme à l’indigne façon de faire avaler à toute vitesse
cette bouffe infâme, cette bouillie prémâchée, prédigérée, en lui intimant
l’ordre de se dépêcher… après ce coup de semonce affolement du corps médical,
course effrénée dans les couloirs, là ils ont su m’appeler, là je redevenais
quelqu’un alors que depuis 10 jours on me faisait bien sentir que je n’étais
personne.