21 novembre 2014

Vous savez quoi? J'en ai marre...

Un billet d'humeur publié en novembre 2014 dans le cadre des 1ères rencontres francophones sur le répit des aidants.
repris ici, ici et ici 



      Vous savez quoi ? J’en ai marre. Marre de tous ces grands théoriciens du «care», marre de ces rencontres, colloques, tables rondes, débats. Fatiguée de lire ces programmes creux, ces comptes rendus stériles. Fatiguée d’entendre parler DE moi sans qu’à aucun moment on ne m’ait parlé A moi. A aucun moment je ne me suis reconnue dans aucun des portraits qui sont faits des aidants. A aucun moment je ne me suis sentie concernée par aucune des solutions de répit proposées.

26 octobre 2014

Hortense et les lapins





        L’hiver dernier, je regardais les multiples reportages relatant les dégâts de l’érosion sur nos côtes. Rien ni personne ne sera plus fort que la mer quand les nuits de tempête elle grignote des bouts de terre. Parfois même, à l’occasion de forts coefficients, ce sont des pans entiers de terrains qui sont engloutis, emportant maisons et constructions que l’humain, dans un excès d’optimisme avait eu l’audace de poser là.

    Chez Majesté, c’est pareil. Par périodes, ce sont des pans entiers qui s’effondrent, engloutissant ce que j’avais patiemment retricoté dans un excès d’audace et d’optimisme. Hortense est gourmande. Parfois elle grignote gentiment mais parfois elle dévore à grandes bouchées voraces. Aucune digue ne saurait contenir son insatiable appétit. Alors, inlassablement je reconstruis plus loin, plus solide, jusqu’à la prochaine tempête. Quelques petits mots, un geste ou deux. C’est un combat perdu d’avance et j’en suis consciente mais ces petits mots sont autant d’amarres qui le rattachent à l’humain qu’il est encore.

    Maintenir à tout prix les visites des amis et de la famille, l’aide à rester l’être sociable qu’il a toujours été, c’est amusant comme Hortense se fait discrète en présence d’invités. Et puis cela nous permet d’anticiper sur ces visites. Se remémorer qui vient, regarder des photos pour faire le lien entre un prénom et un visage, remettre du sens sur tout cela, préparer un gâteau, insister sur le fait qu’il doit rester habillé, lui demander de faire cet effort, pour la personne qui va venir. Apprendre, réapprendre à se contenir, anticiper sur ce plaisir de revoir cet ami, perdu de vue depuis de longs mois, tout cela peut nous occuper quelques heures et éloigne Hortense, elle qui n’aime pas les visites.


24 septembre 2014

Les orages d'été





         Dimanche matin, 6h il est réveillé, week-end  ou pas, c’est la vessie qui commande. Bon, ben y’a plus qu’à… Les chats campent déjà devant la cuisine. Eux non plus ne connaissent pas de fin de semaine… Mettre l’eau à chauffer pour le café, nourrir les fauves, tous ces petits gestes matinaux qui rassurent... Pffff hier à la télé ils avaient dit qu’on pouvait dormir une heure de plus ouais ben… les chats, mon bonhomme et sa vessie,  ils devaient pas être au courant.

        On sirote notre café au lit, en silence. Enfin JE sirote parce que loulou, lui, il boit ça comme une purge, d’un trait. La modération, connait pas. Et il me tend sa tasse vide d’un air satisfait. Il a encore une goutte de café au lait qui lui coule du menton. Va pas me tacher les draps propres, je l’essuie avec mon doigt. 

     6h15 cafés bus, on fait quoi maintenant ? Allez mon loulou on va essayer de se rendormir un peu, hein… lumière éteinte, couette remontée jusqu’aux oreilles, je ferme les yeux. Et là ça commence. La jambe droite qui s’agite, le genou qui me remonte dans le dos. Je pose ma main sur sa cuisse, contrôle mon gars, contrôle. Je perçois un début d’agacement dans son soupir. Oh discret au début, un soupçon. Il se tourne sur le dos et m’embarque la couette au passage. Je m’accroche bien un peu, pour la forme mais je sais que c’est foutu. Il ne se rendormira pas et moi non plus. 


22 septembre 2014

Lettre à Hortense

        Depuis un moment, j'entretiens une conversation avec Hortense la colocataire de mon Loulou, celle qui loge dans sa  tête. Tout le monde aura reconnu sa démence mais moi j'ai préféré lui donner un nom, pour me la rendre plus familière.



                                           Chère Hortense ;



             Depuis que tu as  établi tes quartiers dans la tête de mon bonhomme, on peut dire que ma vie a singulièrement changée. Elle n’était pas si extraordinaire que ça ma vie d’avant  mais étrangement, c’est son apparente banalité qui en faisait tout le charme. Pourtant, on ne t’a pas vue arriver. Tu t’es faite discrète au début. Farceuse, tu lui volais son chemin pour qu’il se perde, puis tu cachais ses affaires pour qu’il les cherche sans les voir, puis petit à petit tu lui as volé ses mots, son rire. C’est là que je me suis rendu compte de ta présence. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’une IRM te débusque et que l’on se rende compte que tu t’étais déjà installée partout. Et puis rapidement tu as pris tes aises et tu as  montré ton vrai visage. Tu l’as privé de ses mains, de sa voix. Tu l’as fait marcher jour et nuit, se perdre aux quatre coins de l’appartement. Mais lui prendre tout ça ne t’a pas suffi, tu es une colocataire exigeante, Hortense.  Il te le faut tout entier, et pour toi seule.


21 septembre 2014

Notre histoire: en guise de préambule



              C’est l’histoire d’un homme et de son virus, de leur rencontre il y a un peu plus de 20 ans à l’époque où dans ses veines couraient 1000 chevaux blancs. C’est l’histoire d’un homme libre qui a refusé les étiquettes. De séropositif il n’a retenu que le positif, de mort vivant il n’a retenu que le vivant. Un suivi épisodique, pas de traitement, prendre des médicaments pour éviter d’être malade lui semblait relever de l’ordre du pléonasme. Non, lui, il voulait continuer à rire, chanter, danser dans le soleil et aimer. Surtout aimer. Aimer la vie, même avec son hôte indésirable. Un passager clandestin discret au début,  presque absent. Mais le pathogène est un malin. Le diabolique a fini par prendre la tour de contrôle en otage, considérant le corps comme un véhicule subalterne tout juste apte à lui fournir de quoi survivre.

                Eté 2011, les premières manifestations apparaissent. Trop tard le mal est déjà fait. Une IRM ne fait que confirmer les lésions. La ponction lombaire ne révèle aucun autre agent pathogène, c’est bien le VIH l’unique responsable. Nos contacts avec les médecins sont (déjà) difficiles, teintés d’incompréhensions mutuelles. Pour les blouses blanches, il était l’inconscient qui n’a eu que ce que sa négligence méritait et moi, sa complice consentante, je devais me contenter d’avoir encore des yeux pour pleurer à défaut de n’avoir su les ouvrir à temps. Durant  une brève hospitalisation au cours de laquelle le seul soin qu’il reçoit quotidiennement est la sacro-sainte trithérapie, ce miracle chimique sensé mettre le virus en mode « ta gueule », je fais le siège du bureau de l’interne qui me regarde de haut, me tient dans l’ignorance dédaignant mes questions. Le savoir est sa richesse, il n’entend pas la partager. C’est mon zouave lui-même, qui un dimanche midi, dans un réflexe de survie, leur a signifié de façon péremptoire « je veux rentrer chez moi » après avoir méthodiquement saccagé le bureau des infirmières, balancé son plateau repas à la tête de l’aide-soignante qui le nourrissait, oui nourrissait parce qu’il n’y a pas d’autre terme à l’indigne façon de faire avaler à toute vitesse cette bouffe infâme, cette bouillie prémâchée, prédigérée, en lui intimant l’ordre de se dépêcher… après ce coup de semonce affolement du corps médical, course effrénée dans les couloirs, là ils ont su m’appeler, là je redevenais quelqu’un alors que depuis 10 jours on me faisait bien sentir que je n’étais personne.


21 juillet 2014

Des aidants en manque de reconnaissance





 « Plus que d’argent ou d’un réel statut les aidants ont avant tout besoins de reconnaissance » écrivait Serge Guérin dans une de ses tribunes. Or si l’on s’attache un peu à la sémantique je dirais que pour qu’il y ait re-connaissance, il faut avant tout qu’il y ait connaissance.

              J’ai eu tout le loisir de constater ces derniers mois le manque de connaissance que M et Mme Tout-le-monde avait des aidants. Il y a peu, une vaste opération de recensement avait lieu dans mon quartier. La préposée de la mairie s’est proposée pour m’aider à remplir le formulaire. A la question : « Exercez-vous une activité professionnelle ? » J’ai répondu par la négative. Ce qui a donné lieu à un dialogue surréaliste puisque n’étant pas non plus demandeur d’emploi, ni retraitée, ni mère au foyer, aucune des cases à cocher ne correspondait à ma situation. Voilà, je n’entrais dans aucune case.

30 mai 2014

Parce qu'il faut que cela soit dit



          En France, les 164 milliards de notre contribution informelle font encore débat. Mais pourquoi? Pourquoi ne pas se mettre d'accord une bonne fois pour toutes sur le nombre d'aidants en France? Pourquoi ne pas se mettre d'accord sur leur dénomination? Aidants naturels, aidants informels, aidants familiaux, aidants bénévoles, aidants accompagnants... 8.3 millions d'aidants pour les uns, 4 millions d'aidants de personnes âgées de plus de 60 ans dont un million d'aidants "lourds" pour les autres. A chaque fois on nous divise, on nous minimise. 1 millions d'aidants lourds fâcheraient-ils moins que 9 millions d'aidants? Nos dirigeants, en établissant cette barrière de l'âge croient-ils établir une barrière entre aidants? Encore une fois, les aidants sont considérés non pas en fonction du soutien qu'ils apportent mais en fonction de la pathologie de leur proche. France Alzheimer, La Ligue contre le Cancer, France Parkinson... chaque grande association parle à SES aidants, édite des plaquettes à leur attention et cible les recommandations. Le risque de dérive étant que plus la maladie de votre proche est rare et moins vous trouverez de soutien ou de conseils adaptés.

4 février 2014

Cancer: Personne ne parle de ceux qui aident les malades

 A l'occasion de la Journée Mondiale contre le Cancer 2014, Jean-Louis publiait ici son témoignage d'aidant: 


        Je suis un récidiviste, donc ça aide. Il y a 15 ans, j'ai accompagné ma première femme jusqu'à son dernier voyage. A l'époque, je ne savais rien du mot "aidant", ce que suppose d'être l'aidant de son conjoint malade du cancer, et ce que cela pouvait impliquer.

       Quand ma seconde femme a été diagnostiquée du cancer, il y a six mois, je n'ai ressenti aucune peur, j'ai pensé à elle ET à moi, et je me suis immédiatement organisé: organiser avec ma femme son réseau de soutien, organiser MON propre réseau de soutien, organiser ma délégation, surtout ne pas penser que je "saurai" et pourrai tout faire. Non, un aidant ne peut pas tout faire, mais bien organisé, oui, on peut aider son conjoint ET continuer sa vie professionnelle, sa vie de famille, ses activités même réduites.

        Il ne faut pas se leurrer: émotionnellement, le cancer fait peur, il fait peur à celui ou celle qui en est atteint, il fait peur à soi, aux autres, et il faut avoir un réseau solide d'amis mis dans la boucle dès le début pour qu'ils restent avec vous.