Ou
Le
manuel du savoir vivre en compagnie d’un aidant
1ère
Partie
Tout aidant, à l’évocation de sa situation, a forcément
entendu un de ces petites phrases ou questions malheureuses.
- Mais
pourquoi tu ne le (la) places pas ?
Alors
déjà, on place un vase sur la commode, on place une valise dans le coffre de la
voiture mais on fait entrer un proche en établissement. Personne ne demande sa
permission au vase d’être déplacé, ni à la valise d’être rangée là. Un
placement c’est contraint. Un proche, on parle avec lui, on envisage la possibilité
de…, on lui demande ce qu’il en pense, même s’il n’a plus trop l’air de penser,
même s’il ne parle plus beaucoup. En tout cas on engage un dialogue, on ne
prend pas la décision seul, et cela ne se fait jamais de gaieté de cœur. Non,
jamais.
Donc la question était « Mais pourquoi tu ne fais pas entrer ton proche en établissement ? »
Si vous, vous avez mal au bras, et que vous constatez
que cela vous a empêché de dormir, est-ce vous trouveriez acceptable une
réponse comme « fais-le couper, tu dormiras mieux » ?
- Parce que, et là
je parle pour les conjoint(e)s aidant(e)s, ce serait la fin de la vie de couple,
une séparation sans désamour. En général, on se sépare d’un conjoint quand on
ne s’aime plus, on divorce parce que les conditions d’une vie à deux sereine et
harmonieuse ne sont plus réunies. Sauf que là, non. On se sépare parce que l’un
des deux est malade ou handicapé. L’amour, la tendresse sont encore là mais on
n’y arrive plus. Alors comprenez bien que c’est le genre de décision qu’on
ne prend qu’à la toute dernière extrémité, quand vraiment on n’en peut plus,
qu’on est à bout de forces et qu’on met déjà notre santé en danger. Pour les
enfants aidants, le problème est ailleurs. Eux savent (et leurs parents aussi)
que c’est la dernière étape avant le cimetière et qu’il y a de fortes
« chances » qu’ils n’en sortent pas vivants, alors on peut comprendre
qu’ils n’aient pas envie de précipiter le processus.
- Parce qu’aussi
c’est une preuve qu’on ne s’en sort plus, soit parce que la maladie s’est
aggravée mettant en danger le proche, son aidant ou d’autres personnes, soit
parce que le temps faisant, on n’en peut plus, on est à bout de forces. Et là
c’est un énorme sentiment d’échec pour nous. Obligés d’admettre qu’on ne peut
plus faire face, qu’on n’y arrive plus, qu’on a besoin d’aide, qu’on va confier
à d’autres ce proche dont on n’est plus en capacité de prendre soin. Difficile
de passer d’aidant à aidé quand on y pense.
- Parce qu’on n’a
pas vraiment confiance dans les institutions. A la maison c’est du
« sur-mesure ». Les horaires, les menus, les heures de visites,
l’emploi du temps, on fait comme on veut. En établissement, c’est la vie en
collectivité dans toute sa splendeur. Alors, manger à la cantine ou partir en
colo quand on est enfant, c’est bien, mais quand on a goûté à la vie d’adulte
pleine et entière, quand on a été autonome et qu’on doit de nouveau dépendre
d’horaires imposés, de menus imposés, de voisins pas forcément choisis, c’est
moins bien. Et ça, nous les aidants on le sait, parce qu’on en a déjà fait
l’expérience lors de précédentes hospitalisations. Parce que l’institution
manque de soignants, il n’est pas rare de retrouver notre proche aidé plus
dégradé à la sortie qu’à l’entrée. Alors l’y laisser pour qu’il y vive ses
dernières années, on n’est pas chauds.
Donc pour toutes ces raisons (fin de la vie de couple, culpabilité,
peur d’un déclin irrémédiable, que notre proche se sente abandonné ou sentiment
d’échec) et bien d’autres encore, l’entrée en institution n’est envisagée qu’en
tout dernier recours. Alors s’il vous plait, arrêtez de nous présenter ça comme
la panacée ou l’idée du siècle. Ça n’est ni la solution idéale ni la forme de
libération que vous supposez. Or le problème, c’est que c’est ce que vous nous
proposez à chaque fois que l’on constate un problème ou un frein, quand on est
fatigués ou en retard, ou qu’on décline une invitation parce qu’on n’a trouvé
personne pour nous remplacer.
Donc si vous n’avez pas d’idée plus lumineuse à nous
proposer, le mieux est de vous taire et d’offrir simplement une écoute
empathique. Croyez-moi, parfois ça nous suffit.
- Tu
ne prends pas assez soin de toi
Que ce soit
dit dans le but d’être amical, bienveillant ou pour lui faire prendre
conscience qu’il/elle se néglige ou se met en danger, ça n’est jamais une bonne
idée de tenter de culpabiliser un(e) aidant(e) en lui reprochant son manque de
soins. Jamais la culpabilisation n’a fait changer les gens. Jamais. Tout ce que
vous ferez sera de renforcer ce qui existe déjà. Parce qu’on n’est pas idiots
ni aveugles non plus. On le voit bien qu’on est moins soignés qu’avant, qu’on a
grossi, qu’on ne prend pas toujours le temps de choisir avec autant de soin qu’autrefois
notre tenue, qu’on privilégie désormais le confort au style, que notre
maquillage couvre à peine nos cernes (il y a longtemps que je ne tente plus de
dissimuler les miennes). On le sait bien qu’il y a longtemps qu’on n’a pas vu
un médecin, une esthéticienne, qu’on est en retard pour notre visite annuelle
chez le dentiste, que nos cheveux ne sont pas passés entre les mains expertes
d’un coiffeur depuis longtemps. C’est
que, voyez-vous, on n’a plus vraiment le temps, on a d’autres priorités, on n’a
plus le budget non plus, celui qu’on cherchait à séduire autrefois s’éteint
progressivement ou ne nous regarde plus depuis longtemps. Parce qu’entre les
soins, les rendez-vous médicaux, l’organisation de la journée, et toutes les
tâches qui incombent aux seuls aidants, entre le travail (pour ceux qui
travaillent encore) la maison (pour ceux qui ne vivent pas avec leur proche
aidé), les enfants, entre les nuits à réveils multiples et les journées
marathon, ce sont le temps, les moyens, l’énergie et la motivation qui nous
manquent le plus.
Maintenant, si vous êtes un proche réellement
bienveillant, et que vous constatez que votre ami aidant prend moins soin de
lui, abordez avec lui (ou elle) la question autrement. Ne reprochez pas,
proposez votre aide, d’une façon ou une autre. Offrez-lui un soin chez
l’esthéticienne, une nouvelle coupe chez le coiffeur, proposez lui de vous
occuper vous-même du proche aidé le temps qu’il (elle) prenne soin de sa santé,
aille chez le médecin ou fasse les examens qu’il (elle) repousse depuis
longtemps. Proposez une virée shopping entre copines, une promenade à la
campagne, un ciné ou de boire un verre, établissez un planning régulier de
remise en forme (et tenez-vous y ), accompagnez chaque progrès de compliments
et valorisez ses efforts.
En résumé : pas de culpabilisation nocive, mais une aide concrète, des encouragements et de la valorisation.
- Tu
crois qu’il (elle) me reconnaîtrait encore ?
LA question
qui fâche… Vous comptez rendre visite à un proche souffrant de troubles
mnésiques ou de dégradations cognitives et vous vous demandez si cette personne
vous reconnaîtra ? Mais
pourquoi ? Je veux dire, ça change quoi si cette personne ne vous
reconnait pas ? L’essentiel est que vous, vous la reconnaissiez et que
tous deux passiez un bon moment. Vous n’avez pas nécessairement besoin que
cette personne sache qui vous êtes pour exister, en revanche, cette personne a
besoin de vous, de votre regard, de votre chaleur et de vos souvenirs pour se
sentir vivante. Parfois certaines personnes savent qui vous êtes mais ont
oublié votre nom, parfois, tout s’est effacé, parfois elle vous confond avec
une autre personne, dans tous les cas, accueillez ses mains dans les vôtres,
regardez-vous dans les yeux, souriez lui et vous serez surpris de la réaction.
Ne lui demandez pas si elle vous reconnait, si elle se souvient de vous. Si tel
était le cas, elle vous l’aurait déjà dit, dans le cas contraire, vous la mettriez
en échec. Ça n’est jamais facile pour quelqu’un d’admettre « non, je ne te
reconnais pas » surtout quand la personne en face a été très proche ou
insiste lourdement.
Et puis j’aurais envie de vous dire que si vous en êtes
à vous poser la question, c’est que vous ne devez pas la voir bien souvent
cette personne, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas le meilleur moyen pour
qu’elle se souvienne durablement de vous.
Donc dans tous les cas, ne nous posez pas cette
question. Parce qu’à nous aussi ça nous fait de la peine.
Ceci étant, si vous êtes vraiment de bonne volonté, et
plutôt que de vous inquiéter de ce que n’est plus, focalisez-vous sur ce qui
est encore. « Est-ce qu’elle aime encore écouter de la musique, est-ce
qu’elle est toujours aussi gourmande, tu crois qu’un gâteau lui ferait
plaisir ? » et mettez-vous au diapason, être ici et maintenant. Au
lieu de « tu te souviens des beaux jours d’autrefois » dites plutôt à
quel point cela vous fait plaisir d’être là, avec cette personne, de la voir si
bien entourée, de partager ce bon moment ensemble, de goûter ce délicieux repas.
Communiquez de façon positive et peut-être que le temps passant, certains
souvenirs referont surface et que cette personne vous en parlera d’elle-même.
Dans tous les cas, accueillez ce qui arrive avec chaleur et empathie.
Fais-toi
aider
Bon, là aussi, on ne va pas se mentir, c’est
l’injonction qui fâche. Parce que c’est facile à dire, mais dans la vraie vie
c’est plus compliqué.
Se faire aider par qui ? Pour quoi ? L’aide
que l’on recherche peut prendre plein de formes parce qu’elle peut répondre à
plein de problèmes.
Déjà sachez que quand on déplore être fatigué ou
n’avoir pas assez de temps pour une sortie, ou pour prendre soin de nous, ça
n’est pas toujours une plainte mais c’est plutôt un constat, et qu’on ne vous
demande pas forcément une solution mais plutôt une écoute bienveillante et
empathique. Au mieux on attend une solution concrète, applicable, un conseil
pratique, une astuce, mais pas ce genre d’injonction stérile.
Fais-toi aider ? Remplacer ? Bah c’est gentil
de me faire comprendre que je ne suis plus capable d’assumer mon rôle
d’aidante, ou que je ne suis plus compétente. Je me suis déjà bien assez
exprimée sur le sujet des aides à domicile qu’on nous présente comme « le
plus sûr moyen de répit pour les aidants », mais quand on connait la
réalité, on est loin du répit promis.
Fais-toi aider ? Va voir un psy ? (oui de nos
jours, se faire aider veut aussi dire « aller voir un psy ») Oui
pourquoi pas, mais ça n’apportera aucune aide concrète dans l’immédiat.
Et puis l’aide en question, qui va la payer ? Beaucoup
d’articles ont été publiés ces derniers mois à propos de l’énorme sacrifice
financier des aidants (ici par exemple). Alors comprenez bien que de l’aide
telle que vous l’imaginez est loin de notre réalité. Bien souvent, on a déjà
tapé à toutes les portes, on a rempli des dizaines de dossiers, fait valoir nos
droits et ceux de notre proche, on a expliqué notre situation à des dizaines
d’inconnus (ce qui a largement contribué à cet état de fatigue que nous
déplorons) seulement voilà, la situation fait que… on est fatigués, on dort
mal, on a moins le temps pour voir nos amis, faire du sport ou partir en
vacances. C’est un état de fait, un constat, pas une plainte.
Mais, ce que vous, amis ou relations d’un aidant,
pouvez faire, c’est lui proposer votre aide. Au lieu d’imposer le
« Fais-toi aider », demandez « Comment puis-je
t’aider ? » Vous pouvez par exemple, proposer de faire vos courses en
ligne ensemble et lui rapporter les siennes quand vous prenez les vôtres, lui
proposer de ramener les enfants de l’école en allant chercher les vôtres, lui
donner un coup de main pour des formalités administratives ou des recherches
sur internet (tout le monde n’est pas à l’aise avec l’informatique, un coup de
main n’est jamais superflu). Vous pouvez aider à rédiger des courriers, faire
certaines démarches, faire du petit bricolage chez la personne aidée (fixer les
tapis au sol à l’aide de double-face, ré-agencer le lieu de vie, fixer une
barre de douche ou de toilettes). Quand on y pense, ça n’est pas très compliqué
pour une personne bien intentionnée de venir en aide à quelqu’un qui est
débordé par les tâches multiples qui incombent aux aidants.
Moi,
à ta place je ne pourrais pas…
Et d’une façon générale, tout ce qui commence
par : Moi, à ta place…
En général, à quelqu’un qui commence comme ça,
je réponds « tu ne le sais pas encore… » Parce qu’on est tous amenés
à être aidants un jour, personne n’est à l’abri d’un accident de la vie, et
tout le monde ou presque a des parents qui vieillissent. Bon, et puis on ne
peut pas dire que vous nous renvoyiez une image très positive de notre rôle.
Alors c’est peut-être dit comme un compliment, pour vous c’est peut-être
élogieux ou admiratif mais pour nous ça sonne plutôt comme un « bouhhh ça
ne donne pas envie, moi je n’aurais pas envie que ça m’arrive » Et puis ça
culpabilise pas mal le proche aidé, qui se sent encore plus un boulet qu’on
traîne de force. Vous savez, le handicap vu comme une catastrophe, c’est quand
même un peu validiste. On passe notre vie à normaliser, à inclure, à faire
accepter, sortir des proches que l’âge ou la maladie tiennent éloignés de la
société, alors de grâce, ne nous renvoyez pas à la figure à quel point ce qu’on
fait est ingrat.
En revanche, si vous voulez vraiment nous faire un compliment
(oui on aime bien ça les compliments, d’ailleurs qui n’aime pas ?) vous
pouvez toujours nous dire que le jour où vous serez à votre tour aidant d’un
proche, au moins vous saurez à qui demander des conseils, vous pourrez nous
dire qu’on a essuyé les plâtres pour vous, et que vu la façon dont on arrive à
concilier toutes nos vies, on pourrait vous servir de référence. Tous les
aidants ont eu à développer des stratégies pour s’adapter à leur situation, il
suffit de leur demander, tous se feront un plaisir de vous guider.
La suite très bientôt…
Merci Kat de cette verve aiguisée qui nous ressemble, nous rassemble.
RépondreSupprimerPrends soin de toi et de Ch, parole non galvaudée, mais je sais que tu sais!Bises
merci Dame Marie
SupprimerJe sais que tu sais que je sais... ;-)
Merci du fond du cœur. Cœur que vous avez immense. Vous traduisez si bien ce que l'on peut ressentir. Quelle humanité.
RépondreSupprimerMerci beaucoup Chantal
SupprimerLa suite arrive très bientôt...
chapeau ma Kat et merci !!! (clap clap clap)
RépondreSupprimerattends la suite... ;-)
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