21 juillet 2014

Des aidants en manque de reconnaissance





 « Plus que d’argent ou d’un réel statut les aidants ont avant tout besoins de reconnaissance » écrivait Serge Guérin dans une de ses tribunes. Or si l’on s’attache un peu à la sémantique je dirais que pour qu’il y ait re-connaissance, il faut avant tout qu’il y ait connaissance.

              J’ai eu tout le loisir de constater ces derniers mois le manque de connaissance que M et Mme Tout-le-monde avait des aidants. Il y a peu, une vaste opération de recensement avait lieu dans mon quartier. La préposée de la mairie s’est proposée pour m’aider à remplir le formulaire. A la question : « Exercez-vous une activité professionnelle ? » J’ai répondu par la négative. Ce qui a donné lieu à un dialogue surréaliste puisque n’étant pas non plus demandeur d’emploi, ni retraitée, ni mère au foyer, aucune des cases à cocher ne correspondait à ma situation. Voilà, je n’entrais dans aucune case.



              Autre exemple : S. Guérin était il y a peu invité dans une émission de radio, émission qui traitait ce jour-là de l’examen de la très attendue « Loi sur l’adaptation de la société au vieillissement » appelée aussi  « Loi Autonomie ». Il y a longuement évoqué les aidants,  notre contribution informelle de 164 milliards et de notre place dans la société. A un moment le journaliste l’interrompt et lui demande : « Mais de quels aidants voulez-vous parler ? Les aides à domicile ? » « Non, les aidants bénévoles » « ah oui les bénévoles… »  Répond  le journaliste. Voilà encore un exemple qui traduit le peu de connaissance que la société a de nous, de notre rôle et de notre situation
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              J’ai une troisième anecdote : j’ai eu récemment besoin d’une assistante sociale pour remplir et déposer un dossier. Elle téléphone devant moi à l’organisme afin d’obtenir un complément d’information. Je l’entends dire : « je vous appelle pour Mme X qui s’occupe de son  compagnon handicapé… » Pas « qui est aidante de… » Mais « qui s’occupe de… ». Pour moi, la différence est essentielle. Dans « qui s’occupe de… » C’est  mon compagnon qui est au centre de l’action tandis que dans «qui est aidante de… » J’ai une place définie au centre de cette même action.

            Voilà, trois exemples qui montrent qu’à tous les niveaux de la société, les aidants sont méconnus. Ce week-end j’ai eu l’occasion de lire une des très nombreuses publications rédigées à l’attention des aidants américains, aidants qui souhaitent maintenir une activité salariée tout en s’occupant de leur proche en perte d’autonomie. Certaines recommandations étaient très pertinentes et aisément transposables aux salariés/aidants français.  Et je me faisais la réflexion qu’il était bien dommage de n’en avoir connaissance que maintenant, soit au bout de 3 ans d’aide apportée à mon compagnon et 2 ans ½ après avoir démissionné d’un travail que j’aimais et dans lequel je m’épanouissais.  Une étude sociologique a été effectuée en 2011 en Ecosse par l’association CarersOfScotland. Elle se termine par quelques recommandations de bon sens dont celle-ci : « Les aidants doivent avoir accès à l’information au bon moment et au bon endroit. Notamment au tout début de leur prise de rôle, avant la sortie de l’hôpital ou à l’annonce du diagnostic » Or en général, c’est une fois que les problèmes se posent, que ce soit une aggravation de l’état de santé de notre proche ou un problème côté aidant (santé ou autre) que l’on commence les recherches. Or là, bien souvent, il est trop tard. Certaines décisions  ont déjà été prises, certaines habitudes aussi. Bien souvent le temps manque, temps pour collecter les informations, pour comparer les options, les offres de service, les tarifs et on agit dans la précipitation sans vraiment avoir le choix. Avec le sentiment d’être passé à côté, la frustration et la culpabilité en prime !!!

               Notre ami Jean-Louis, aidant de son épouse atteinte d’un cancer, déplorait de son côté, qu’à aucune étape du parcours de soin de son épouse, un médecin ou un psychologue ni même une infirmière ne se soit adressé à lui, ni ait eu un discours clair quant au rôle d’aidant qu’il aurait à tenir. Comme c’était sa deuxième expérience, Jean-Louis a su s’organiser, s’entourer et établir un planning avec « qui fait quoi… ». Une organisation rondement menée qui ne peut que profiter au malade qui a autre chose à faire que de voir sa situation se précariser davantage et à l’aidant qui peut ainsi se consacrer sereinement à son proche. S’organiser en pleine connaissance de cause pour un aidant c’est prendre les bonnes décisions au bon moment, pour lui comme pour son proche. C’est aussi faire des économies de temps et d’argent.  Or il ne peut y avoir de bonne organisation sans bonne information. Et de l’information à la connaissance il n’y a qu’un pas.

                    Connaissance et donc à fortiori reconnaissance du monde médico-psycho-social. Reconnaître les aidants c’est les aider à s’identifier comme aidants, c’est leur donner une identité. Les aider à prendre leur rôle, à en définir eux même les contours et à en fixer les limites.  Combien d’aidants se plaignent qu’à un moment ils se sont sentis dépassés par la lourdeur de la tâche ? Délaissés par la famille et les amis ? Chaque aggravation de l’état de santé du proche aidé alourdit davantage le quotidien  de son aidant, le coupe du peu de lien social qu’il pouvait encore posséder et lui laisse encore moins de temps pour s’informer des solutions palliatives existantes.  Or c’est au début de la maladie que doivent leur parvenir les informations. Quand les choses sont encore gérables, quand on a encore le choix et le temps.   La consultation d’annonce devrait être le moment parfait pour cela. La place des aidants y est d’ailleurs mentionnée, comme faisant partie de l’entourage du malade et prise en compte en tant que tel. Les retours que j’ai eus et mon expérience personnelle montrent que les aidants y sont encore trop peu inclus. Voit-on dans les salles d’attente des services d’oncologie ou de gériatrie ou de n’importe quel service hospitalier des plaquettes informatives à destination des aidants ou de l’entourage du malade ? A ma connaissance il n’y en a pas, ou ce sont des initiatives locales encore trop confidentielles. Les assistantes sociales des services se déplacent-elles afin d’informer les futurs aidants du niveau de leurs connaissances en matière d’aides financières, de leurs droits, de formations pratiques,  ou de toute autre information les concernant ? Pas à ma connaissance non plus. Qui met en garde les aidants à propos de leur santé ? Quand on sait qu’un aidant sur trois meurt avant son proche, on est en droit de se demander combien de ces aidants ont eu concrètement accès à une information claire et détaillée quant aux solutions existantes pour mieux se prendre en charge.  
                   Mais connaître et reconnaître les aidants c’est aussi mieux cerner leurs besoins d’informations et de formations sur les solutions qui existent. Chaque option, chaque décision sont autant de petits chemins de vie que le couple aidant/proche aidé emprunte. Il est donc important que l’information circule, à tous les niveaux. Au niveau médical, social et politique. Pour que les aidants puissent mieux se connaître, se reconnaître, mieux s’informer, mieux se former.  Que le monde politique et les médias s’emparent du sujet et diffusent eux aussi l’information. Pour que la société nous reconnaisse et nous fasse une place, pour devenir enfin une case à cocher sur un formulaire de recensement. Aidez-nous à sortir du flou.   

Billet d'humeur écrit en juillet 2014 et publié ici



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