7 juin 2017

Les dix petites phrases malheureuses à ne pas dire à un aidant


Ou
Le manuel du savoir vivre en compagnie d’un aidant

1ère Partie


Tout aidant, à l’évocation de sa situation, a forcément entendu un de ces petites phrases ou questions malheureuses.
En voici déjà 5 (les 5 autres suivront très bientôt)





-                                                                   Mais pourquoi tu ne le (la) places pas ?
                         
        Alors déjà, on place un vase sur la commode, on place une valise dans le coffre de la voiture mais on fait entrer un proche en établissement. Personne ne demande sa permission au vase d’être déplacé, ni à la valise d’être rangée là. Un placement c’est contraint. Un proche, on parle avec lui, on envisage la possibilité de…, on lui demande ce qu’il en pense, même s’il n’a plus trop l’air de penser, même s’il ne parle plus beaucoup. En tout cas on engage un dialogue, on ne prend pas la décision seul, et cela ne se fait jamais de gaieté de cœur. Non, jamais.

Donc la question était « Mais pourquoi tu ne fais pas entrer ton proche en établissement ? »
Si vous, vous avez mal au bras, et que vous constatez que cela vous a empêché de dormir, est-ce vous trouveriez acceptable une réponse comme « fais-le couper, tu dormiras mieux » ?

   - Parce que, et là je parle pour les conjoint(e)s aidant(e)s, ce serait la fin de la vie de couple, une séparation sans désamour. En général, on se sépare d’un conjoint quand on ne s’aime plus, on divorce parce que les conditions d’une vie à deux sereine et harmonieuse ne sont plus réunies. Sauf que là, non. On se sépare parce que l’un des deux est malade ou handicapé. L’amour, la tendresse sont encore là mais on n’y arrive plus. Alors comprenez bien que c’est le genre de décision qu’on ne prend qu’à la toute dernière extrémité, quand vraiment on n’en peut plus, qu’on est à bout de forces et qu’on met déjà notre santé en danger. Pour les enfants aidants, le problème est ailleurs. Eux savent (et leurs parents aussi) que c’est la dernière étape avant le cimetière et qu’il y a de fortes « chances » qu’ils n’en sortent pas vivants, alors on peut comprendre qu’ils n’aient pas envie de précipiter le processus.  

  - Parce qu’aussi c’est une preuve qu’on ne s’en sort plus, soit parce que la maladie s’est aggravée mettant en danger le proche, son aidant ou d’autres personnes, soit parce que le temps faisant, on n’en peut plus, on est à bout de forces. Et là c’est un énorme sentiment d’échec pour nous. Obligés d’admettre qu’on ne peut plus faire face, qu’on n’y arrive plus, qu’on a besoin d’aide, qu’on va confier à d’autres ce proche dont on n’est plus en capacité de prendre soin. Difficile de passer d’aidant à aidé quand on y pense.

  - Parce qu’on n’a pas vraiment confiance dans les institutions. A la maison c’est du « sur-mesure ». Les horaires, les menus, les heures de visites, l’emploi du temps, on fait comme on veut. En établissement, c’est la vie en collectivité dans toute sa splendeur. Alors, manger à la cantine ou partir en colo quand on est enfant, c’est bien, mais quand on a goûté à la vie d’adulte pleine et entière, quand on a été autonome et qu’on doit de nouveau dépendre d’horaires imposés, de menus imposés, de voisins pas forcément choisis, c’est moins bien. Et ça, nous les aidants on le sait, parce qu’on en a déjà fait l’expérience lors de précédentes hospitalisations. Parce que l’institution manque de soignants, il n’est pas rare de retrouver notre proche aidé plus dégradé à la sortie qu’à l’entrée. Alors l’y laisser pour qu’il y vive ses dernières années, on n’est pas chauds.

  Donc pour toutes ces raisons (fin de la vie de couple, culpabilité, peur d’un déclin irrémédiable, que notre proche se sente abandonné ou sentiment d’échec) et bien d’autres encore, l’entrée en institution n’est envisagée qu’en tout dernier recours. Alors s’il vous plait, arrêtez de nous présenter ça comme la panacée ou l’idée du siècle. Ça n’est ni la solution idéale ni la forme de libération que vous supposez. Or le problème, c’est que c’est ce que vous nous proposez à chaque fois que l’on constate un problème ou un frein, quand on est fatigués ou en retard, ou qu’on décline une invitation parce qu’on n’a trouvé personne pour nous remplacer.

Donc si vous n’avez pas d’idée plus lumineuse à nous proposer, le mieux est de vous taire et d’offrir simplement une écoute empathique. Croyez-moi, parfois ça nous suffit.


-                                                                                   Tu ne prends pas assez soin de toi


     Que ce soit dit dans le but d’être amical, bienveillant ou pour lui faire prendre conscience qu’il/elle se néglige ou se met en danger, ça n’est jamais une bonne idée de tenter de culpabiliser un(e) aidant(e) en lui reprochant son manque de soins. Jamais la culpabilisation n’a fait changer les gens. Jamais. Tout ce que vous ferez sera de renforcer ce qui existe déjà. Parce qu’on n’est pas idiots ni aveugles non plus. On le voit bien qu’on est moins soignés qu’avant, qu’on a grossi, qu’on ne prend pas toujours le temps de choisir avec autant de soin qu’autrefois notre tenue, qu’on privilégie désormais le confort au style, que notre maquillage couvre à peine nos cernes (il y a longtemps que je ne tente plus de dissimuler les miennes). On le sait bien qu’il y a longtemps qu’on n’a pas vu un médecin, une esthéticienne, qu’on est en retard pour notre visite annuelle chez le dentiste, que nos cheveux ne sont pas passés entre les mains expertes d’un coiffeur depuis longtemps.  C’est que, voyez-vous, on n’a plus vraiment le temps, on a d’autres priorités, on n’a plus le budget non plus, celui qu’on cherchait à séduire autrefois s’éteint progressivement ou ne nous regarde plus depuis longtemps. Parce qu’entre les soins, les rendez-vous médicaux, l’organisation de la journée, et toutes les tâches qui incombent aux seuls aidants, entre le travail (pour ceux qui travaillent encore) la maison (pour ceux qui ne vivent pas avec leur proche aidé), les enfants, entre les nuits à réveils multiples et les journées marathon, ce sont le temps, les moyens, l’énergie et la motivation qui nous manquent le plus.  

   Maintenant, si vous êtes un proche réellement bienveillant, et que vous constatez que votre ami aidant prend moins soin de lui, abordez avec lui (ou elle) la question autrement. Ne reprochez pas, proposez votre aide, d’une façon ou une autre. Offrez-lui un soin chez l’esthéticienne, une nouvelle coupe chez le coiffeur, proposez lui de vous occuper vous-même du proche aidé le temps qu’il (elle) prenne soin de sa santé, aille chez le médecin ou fasse les examens qu’il (elle) repousse depuis longtemps. Proposez une virée shopping entre copines, une promenade à la campagne, un ciné ou de boire un verre, établissez un planning régulier de remise en forme (et tenez-vous y ), accompagnez chaque progrès de compliments et valorisez ses efforts. 

En résumé : pas de culpabilisation nocive, mais une aide concrète, des encouragements et de la valorisation.


-                                                                        Tu crois qu’il (elle) me reconnaîtrait encore ?


      LA question qui fâche… Vous comptez rendre visite à un proche souffrant de troubles mnésiques ou de dégradations cognitives et vous vous demandez si cette personne vous reconnaîtra ?  Mais pourquoi ? Je veux dire, ça change quoi si cette personne ne vous reconnait pas ? L’essentiel est que vous, vous la reconnaissiez et que tous deux passiez un bon moment. Vous n’avez pas nécessairement besoin que cette personne sache qui vous êtes pour exister, en revanche, cette personne a besoin de vous, de votre regard, de votre chaleur et de vos souvenirs pour se sentir vivante. Parfois certaines personnes savent qui vous êtes mais ont oublié votre nom, parfois, tout s’est effacé, parfois elle vous confond avec une autre personne, dans tous les cas, accueillez ses mains dans les vôtres, regardez-vous dans les yeux, souriez lui et vous serez surpris de la réaction. Ne lui demandez pas si elle vous reconnait, si elle se souvient de vous. Si tel était le cas, elle vous l’aurait déjà dit, dans le cas contraire, vous la mettriez en échec. Ça n’est jamais facile pour quelqu’un d’admettre « non, je ne te reconnais pas » surtout quand la personne en face a été très proche ou insiste lourdement. 

Et puis j’aurais envie de vous dire que si vous en êtes à vous poser la question, c’est que vous ne devez pas la voir bien souvent cette personne, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas le meilleur moyen pour qu’elle se souvienne durablement de vous.

Donc dans tous les cas, ne nous posez pas cette question. Parce qu’à nous aussi ça nous fait de la peine.

    Ceci étant, si vous êtes vraiment de bonne volonté, et plutôt que de vous inquiéter de ce que n’est plus, focalisez-vous sur ce qui est encore. « Est-ce qu’elle aime encore écouter de la musique, est-ce qu’elle est toujours aussi gourmande, tu crois qu’un gâteau lui ferait plaisir ? » et mettez-vous au diapason, être ici et maintenant. Au lieu de « tu te souviens des beaux jours d’autrefois » dites plutôt à quel point cela vous fait plaisir d’être là, avec cette personne, de la voir si bien entourée, de partager ce bon moment ensemble, de goûter ce délicieux repas. Communiquez de façon positive et peut-être que le temps passant, certains souvenirs referont surface et que cette personne vous en parlera d’elle-même. Dans tous les cas, accueillez ce qui arrive avec chaleur et empathie.


Fais-toi aider


   Bon, là aussi, on ne va pas se mentir, c’est l’injonction qui fâche. Parce que c’est facile à dire, mais dans la vraie vie c’est plus compliqué.

   Se faire aider par qui ? Pour quoi ? L’aide que l’on recherche peut prendre plein de formes parce qu’elle peut répondre à plein de problèmes.

   Déjà sachez que quand on déplore être fatigué ou n’avoir pas assez de temps pour une sortie, ou pour prendre soin de nous, ça n’est pas toujours une plainte mais c’est plutôt un constat, et qu’on ne vous demande pas forcément une solution mais plutôt une écoute bienveillante et empathique. Au mieux on attend une solution concrète, applicable, un conseil pratique, une astuce, mais pas ce genre d’injonction stérile.

    Fais-toi aider ? Remplacer ? Bah c’est gentil de me faire comprendre que je ne suis plus capable d’assumer mon rôle d’aidante, ou que je ne suis plus compétente. Je me suis déjà bien assez exprimée sur le sujet des aides à domicile qu’on nous présente comme « le plus sûr moyen de répit pour les aidants », mais quand on connait la réalité, on est loin du répit promis.

   Fais-toi aider ? Va voir un psy ? (oui de nos jours, se faire aider veut aussi dire « aller voir un psy ») Oui pourquoi pas, mais ça n’apportera aucune aide concrète dans l’immédiat.

   Et puis l’aide en question, qui va la payer ? Beaucoup d’articles ont été publiés ces derniers mois à propos de l’énorme sacrifice financier des aidants (ici par exemple). Alors comprenez bien que de l’aide telle que vous l’imaginez est loin de notre réalité. Bien souvent, on a déjà tapé à toutes les portes, on a rempli des dizaines de dossiers, fait valoir nos droits et ceux de notre proche, on a expliqué notre situation à des dizaines d’inconnus (ce qui a largement contribué à cet état de fatigue que nous déplorons) seulement voilà, la situation fait que… on est fatigués, on dort mal, on a moins le temps pour voir nos amis, faire du sport ou partir en vacances. C’est un état de fait, un constat, pas une plainte.
Mais, ce que vous, amis ou relations d’un aidant, pouvez faire, c’est lui proposer votre aide. Au lieu d’imposer le « Fais-toi aider », demandez « Comment puis-je t’aider ? » Vous pouvez par exemple, proposer de faire vos courses en ligne ensemble et lui rapporter les siennes quand vous prenez les vôtres, lui proposer de ramener les enfants de l’école en allant chercher les vôtres, lui donner un coup de main pour des formalités administratives ou des recherches sur internet (tout le monde n’est pas à l’aise avec l’informatique, un coup de main n’est jamais superflu). Vous pouvez aider à rédiger des courriers, faire certaines démarches, faire du petit bricolage chez la personne aidée (fixer les tapis au sol à l’aide de double-face, ré-agencer le lieu de vie, fixer une barre de douche ou de toilettes). Quand on y pense, ça n’est pas très compliqué pour une personne bien intentionnée de venir en aide à quelqu’un qui est débordé par les tâches multiples qui incombent aux aidants.  


Moi, à ta place je ne pourrais pas…


Et d’une façon générale, tout ce qui commence par : Moi, à ta place…
    En général, à quelqu’un qui commence comme ça, je réponds « tu ne le sais pas encore… » Parce qu’on est tous amenés à être aidants un jour, personne n’est à l’abri d’un accident de la vie, et tout le monde ou presque a des parents qui vieillissent. Bon, et puis on ne peut pas dire que vous nous renvoyiez une image très positive de notre rôle. Alors c’est peut-être dit comme un compliment, pour vous c’est peut-être élogieux ou admiratif mais pour nous ça sonne plutôt comme un « bouhhh ça ne donne pas envie, moi je n’aurais pas envie que ça m’arrive » Et puis ça culpabilise pas mal le proche aidé, qui se sent encore plus un boulet qu’on traîne de force. Vous savez, le handicap vu comme une catastrophe, c’est quand même un peu validiste. On passe notre vie à normaliser, à inclure, à faire accepter, sortir des proches que l’âge ou la maladie tiennent éloignés de la société, alors de grâce, ne nous renvoyez pas à la figure à quel point ce qu’on fait est ingrat.
En revanche, si vous voulez vraiment nous faire un compliment (oui on aime bien ça les compliments, d’ailleurs qui n’aime pas ?) vous pouvez toujours nous dire que le jour où vous serez à votre tour aidant d’un proche, au moins vous saurez à qui demander des conseils, vous pourrez nous dire qu’on a essuyé les plâtres pour vous, et que vu la façon dont on arrive à concilier toutes nos vies, on pourrait vous servir de référence. Tous les aidants ont eu à développer des stratégies pour s’adapter à leur situation, il suffit de leur demander, tous se feront un plaisir de vous guider.


La suite très bientôt… 







6 commentaires:

  1. Merci Kat de cette verve aiguisée qui nous ressemble, nous rassemble.
    Prends soin de toi et de Ch, parole non galvaudée, mais je sais que tu sais!Bises

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    1. merci Dame Marie
      Je sais que tu sais que je sais... ;-)

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  2. Merci du fond du cœur. Cœur que vous avez immense. Vous traduisez si bien ce que l'on peut ressentir. Quelle humanité.

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    1. Merci beaucoup Chantal
      La suite arrive très bientôt...

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  3. chapeau ma Kat et merci !!! (clap clap clap)

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