« Plus
que d’argent ou d’un réel statut les aidants ont avant tout besoins de
reconnaissance » écrivait Serge Guérin dans une de ses tribunes. Or si
l’on s’attache un peu à la sémantique je dirais que pour qu’il y ait
re-connaissance, il faut avant tout qu’il y ait connaissance.
J’ai
eu tout le loisir de constater ces derniers mois le manque de connaissance que
M et Mme Tout-le-monde avait des aidants. Il y a peu, une vaste opération de
recensement avait lieu dans mon quartier. La préposée de la mairie s’est
proposée pour m’aider à remplir le formulaire. A la question :
« Exercez-vous une activité professionnelle ? » J’ai répondu par
la négative. Ce qui a donné lieu à un dialogue surréaliste puisque n’étant pas
non plus demandeur d’emploi, ni retraitée, ni mère au foyer, aucune des cases à
cocher ne correspondait à ma situation. Voilà, je n’entrais dans aucune case.
Autre exemple : S. Guérin
était il y a peu invité dans une émission de radio, émission qui traitait ce
jour-là de l’examen de la très attendue « Loi sur l’adaptation de la
société au vieillissement » appelée aussi « Loi Autonomie ».
Il y a longuement évoqué les aidants,
notre contribution informelle de 164 milliards et de notre place dans la
société. A un moment le journaliste l’interrompt et lui demande :
« Mais de quels aidants voulez-vous parler ? Les aides à
domicile ? » « Non, les aidants bénévoles » « ah oui
les bénévoles… » Répond le journaliste. Voilà encore un exemple qui
traduit le peu de connaissance que la société a de nous, de notre rôle et de
notre situation
.
J’ai
une troisième anecdote : j’ai eu récemment besoin d’une assistante sociale
pour remplir et déposer un dossier. Elle téléphone devant moi à l’organisme
afin d’obtenir un complément d’information. Je l’entends dire : « je
vous appelle pour Mme X qui s’occupe de son
compagnon handicapé… » Pas « qui est aidante de… » Mais
« qui s’occupe de… ». Pour moi, la différence est essentielle. Dans
« qui s’occupe de… » C’est mon
compagnon qui est au centre de l’action tandis que dans «qui est aidante
de… » J’ai une place définie au centre de cette même action.
Voilà,
trois exemples qui montrent qu’à tous les niveaux de la société, les aidants
sont méconnus. Ce week-end j’ai eu l’occasion de lire une des très nombreuses
publications rédigées à l’attention des aidants américains, aidants qui
souhaitent maintenir une activité salariée tout en s’occupant de leur proche en
perte d’autonomie. Certaines recommandations étaient très pertinentes et
aisément transposables aux salariés/aidants français. Et je me faisais la réflexion qu’il était
bien dommage de n’en avoir connaissance que maintenant, soit au bout de 3 ans d’aide
apportée à mon compagnon et 2 ans ½ après avoir démissionné d’un travail que
j’aimais et dans lequel je m’épanouissais.
Une étude sociologique a été effectuée en 2011 en Ecosse par
l’association CarersOfScotland. Elle se termine par quelques recommandations de
bon sens dont celle-ci : « Les aidants doivent avoir accès à
l’information au bon moment et au bon endroit. Notamment au tout début de leur
prise de rôle, avant la sortie de l’hôpital ou à l’annonce du diagnostic »
Or en général, c’est une fois que les problèmes se posent, que ce soit une
aggravation de l’état de santé de notre proche ou un problème côté aidant
(santé ou autre) que l’on commence les recherches. Or là, bien souvent, il est
trop tard. Certaines décisions ont déjà
été prises, certaines habitudes aussi. Bien souvent le temps manque, temps pour
collecter les informations, pour comparer les options, les offres de service,
les tarifs et on agit dans la précipitation sans vraiment avoir le choix. Avec
le sentiment d’être passé à côté, la frustration et la culpabilité en prime !!!
Notre ami Jean-Louis, aidant de son épouse atteinte d’un cancer,
déplorait de son côté, qu’à aucune étape du parcours de soin de son épouse, un
médecin ou un psychologue ni même une infirmière ne se soit adressé à lui, ni
ait eu un discours clair quant au rôle d’aidant qu’il aurait à tenir. Comme
c’était sa deuxième expérience, Jean-Louis a su s’organiser, s’entourer et
établir un planning avec « qui fait quoi… ». Une organisation
rondement menée qui ne peut que profiter au malade qui a autre chose à faire
que de voir sa situation se précariser davantage et à l’aidant qui peut ainsi
se consacrer sereinement à son proche. S’organiser en pleine connaissance de
cause pour un aidant c’est prendre les bonnes décisions au bon moment, pour lui
comme pour son proche. C’est aussi faire des économies de temps et
d’argent. Or il ne peut y avoir de bonne
organisation sans bonne information. Et de l’information à la connaissance il
n’y a qu’un pas.
Connaissance et donc à fortiori reconnaissance du monde
médico-psycho-social. Reconnaître les aidants c’est les aider à s’identifier
comme aidants, c’est leur donner une identité. Les aider à prendre leur rôle, à
en définir eux même les contours et à en fixer les limites. Combien d’aidants se plaignent qu’à un moment
ils se sont sentis dépassés par la lourdeur de la tâche ? Délaissés par la
famille et les amis ? Chaque aggravation de l’état de santé du proche aidé
alourdit davantage le quotidien de son
aidant, le coupe du peu de lien social qu’il pouvait encore posséder et lui
laisse encore moins de temps pour s’informer des solutions palliatives
existantes. Or c’est au début de la
maladie que doivent leur parvenir les informations. Quand les choses sont
encore gérables, quand on a encore le choix et le temps. La consultation d’annonce devrait être le
moment parfait pour cela. La place des aidants y est d’ailleurs mentionnée,
comme faisant partie de l’entourage du malade et prise en compte en tant que
tel. Les retours que j’ai eus et mon expérience personnelle montrent que les
aidants y sont encore trop peu inclus. Voit-on dans les salles d’attente des
services d’oncologie ou de gériatrie ou de n’importe quel service hospitalier
des plaquettes informatives à destination des aidants ou de l’entourage du
malade ? A ma connaissance il n’y en a pas, ou ce sont des initiatives
locales encore trop confidentielles. Les assistantes sociales des services se
déplacent-elles afin d’informer les futurs aidants du niveau de leurs
connaissances en matière d’aides financières, de leurs droits, de formations
pratiques, ou de toute autre information
les concernant ? Pas à ma connaissance non plus. Qui met en garde les
aidants à propos de leur santé ? Quand on sait qu’un aidant sur trois
meurt avant son proche, on est en droit de se demander combien de ces aidants
ont eu concrètement accès à une information claire et détaillée quant aux
solutions existantes pour mieux se prendre en charge.
Mais connaître et reconnaître les aidants c’est aussi mieux cerner leurs
besoins d’informations et de formations sur les solutions qui existent. Chaque
option, chaque décision sont autant de petits chemins de vie que le couple
aidant/proche aidé emprunte. Il est donc important que l’information circule, à
tous les niveaux. Au niveau médical, social et politique. Pour que les aidants
puissent mieux se connaître, se reconnaître, mieux s’informer, mieux se
former. Que le monde politique et les
médias s’emparent du sujet et diffusent eux aussi l’information. Pour que la
société nous reconnaisse et nous fasse une place, pour devenir enfin une case à
cocher sur un formulaire de recensement. Aidez-nous à sortir du flou.
Billet d'humeur écrit en juillet 2014 et publié ici
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