Chère Hortense ;
Depuis que tu
as établi tes quartiers dans la tête de
mon bonhomme, on peut dire que ma vie a singulièrement changée. Elle n’était
pas si extraordinaire que ça ma vie d’avant
mais étrangement, c’est son apparente banalité qui en faisait tout le charme.
Pourtant, on ne t’a pas vue arriver. Tu t’es faite discrète au début. Farceuse,
tu lui volais son chemin pour qu’il se perde, puis tu cachais ses affaires pour
qu’il les cherche sans les voir, puis petit à petit tu lui as volé ses mots,
son rire. C’est là que je me suis rendu compte de ta présence. Il n’a pas fallu
longtemps pour qu’une IRM te débusque et que l’on se rende compte que tu
t’étais déjà installée partout. Et puis rapidement tu as pris tes aises et tu
as montré ton vrai visage. Tu l’as privé
de ses mains, de sa voix. Tu l’as fait marcher jour et nuit, se perdre aux
quatre coins de l’appartement. Mais lui prendre tout ça ne t’a pas suffi, tu es
une colocataire exigeante, Hortense. Il
te le faut tout entier, et pour toi seule.
Bientôt 3 ans que
tu le hantes, Hortense, 3 ans que l’on se dispute le même homme, 3 ans de combat. Je sais que c’est toi qui gagnera en
fin de compte, c’est toujours toi qui l’emportes à la fin, pas de happy end à
envisager, mais je ne te faciliterai pas la tâche. On a essayé les médicaments qui un temps t’ont
muselée, mais c’était un leurre. J’ai cru qu’on avait gagné mais toi tu en
profitais pour grossir en douce, te vautrer davantage, t’étendre et prendre
possession des lieux pendant qu’on t’oubliait. Et puis un jour tu as appris à
défaire ta muselière et les médicaments
n’ont plus suffit. Hortense est sortie du placard dont elle a fracassé
la porte, plus belliqueuse que jamais. Tu es coriace, Hortense, tu es coriace
et ces jours-ci tu t’exprimes beaucoup. Tu lui fais faire beaucoup de bêtises,
à mon bonhomme et ça, j’aime pas. Que la vie est douce quand tu te fais
discrète. Je sais quand même que tu es là, je ne t’oublie pas pour autant, mais
sans parler d’harmonie, on arrive à cohabiter en paix. On sait bien que tu
n’aimes pas les cris d’enfants, les sonneries intempestives, les klaxons
insistants. On a compris Hortense que la patience n’est pas ta vertu
principale, mais on s’adapte. Mais depuis quelques jours, je sens que tu te
réveilles. Plus agité, plus perdu encore, plus plaintif aussi. A chacune de tes
attaques, j’ai la parade. Je lui parle, inlassablement, je le rattache au réel,
à moi, à nous. Je le rassure, je le calme, le réoriente, le guide. Je ne fatigue pas, mais là je sens bien que ça ne va pas suffire bien longtemps.
Hortense, sache
que je ne te supplierais pas de me le laisser encore un peu. Tu me voles l’homme que j’aime, mais je vais
continuer à me battre. Pour moi, pour lui. Pour l’entendre encore rire, pour
voir encore une fois cette étincelle qu’il a au fond des yeux quand il se moque
de moi. Hortense, une dernière
chose : tu as fait de sa tête ton antre, mais moi c’est dans son cœur que
j’habite. Et de là tu ne me délogeras pas.
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